Syntaxe métatonale et analyse du sonore

Par Williams Montesinos

Cinq entités constituent la syntaxe du discours métatonal ; elles sont liées de diverses façons, mais toutes coexistent dans les rapports harmoniques/mélodiques nécessaires pour articuler la constante essentielle qui est en soi le mouvement du matériau :

e = ensemble restreint du matériel diatonique et de ses modèles dérivés.

E = ensemble total chromatique

C = fréquence de changement

H = intensité de l’harmonie statique (invariant harmonique)

h = intensité de l’harmonie dynamique (variant mélodique)

ε = constante du mouvement de la matière

La conception métatonale fonde son dynamisme sur le basculement entre la valeur maximale et la valeur minimale de l’entité « C » (fréquence de changement) celles-ci sont activées par l’intensité de l’harmonie dynamique « h » et de l’harmonie statique « H » déclenchant les rapports harmonie-mélodie.

On remarquera que, même si je lis ou écris une pièce dans laquelle ne se trouve qu’une ligne mélodique, et quel que soit le matériel utilisé, cette ligne n’a pas renoncé à l’harmonie h, bien qu’on ne puisse parler d’Harmonie H. Autrement dit, on peut parler d’harmonie de n’importe quelle œuvre musicale. C’est ce qu’autorise notre distinction entre Harmonie statique et harmonie dynamique. Lorsqu’on opposait une simple mélodie à un morceau harmonisé, orchestré, c’est que l’on ne pensait qu’en termes d’Harmonie statique. L’harmonie dynamique réside dans la structure de cette mélodie [pp. 139-140]

Ainsi, le mouvement musical selon BALLIF s’active à partir des inégalités harmoniques et mélodiques, les échanges entre l’ensemble du total chromatique « E » (point de vue de la liberté mélodique) et « h » (point de vue de la libération harmonique). Cependant, une fois cernée cette constatation, deux choses restent à considérer :

a) Le mouvement massique duodécatonal des structures fixes, où l’harmonie dynamique « h » tend à se confondre avec l’harmonie statique « H » et que nous associons à un état d’homogénéisation  

b) La présence d’un mouvement linéaire avec absence de points de structures. Ici « h » tend à se confondre avec « E » et que nous associons à un état d’ hétérogénéisation.

Pour éviter ces deux cas de figure extrêmes, BALLIF nous propose alors ce point d’équilibre et clé de voûte d’un original « modèle de sagesse » du mouvemenle concept universel d’invariance (*).

Le mouvement musical pourrait, en quelque sorte, être mis en équation avec les rapports de la stabilité harmonique et de la mobilité mélodique. La métatonalité met l’accent sur des invariances harmoniques (les points, les arêtes de structure) conçues ici, non plus comme des points toujours fixes ou équivalents (solutions polytonales et polymodales) mais comme un paramètre du mouvement, c’est-à-dire une quantité indéterminée de statisme, qui peut intervenir sur l’un des éléments de l’invariant. Ce paramètre symbolisé par h, fait de points intensifiés momentanément à la fortune du rythme, des intensités, des timbres, des hauteurs, entre dans l’équation du mouvement et permet, par ces changements (symbolisés par C) sur les différents points envisageables de l’ensemble de l’invariant harmonique (symbolisé par H), d’obtenir toutes les fluctuations successives possibles du mouvement [p.144]

Effectivement, la métatonalité se fonde sur l’opposition variant-invariant, ce qui impose deux considérations :

a) L’affirmation de l’opposition variant-invariant fixe un son comme référence.

b) La diminution variant-invariant privilégie la liberté de toute fixation.

Ces deux énoncés s’appliquent bien entendu à n’importe quel style du répertoire de la musique occidentale ; néanmoins, l’énoncé (a) peut se présenter à l’intérieur du mouvement sonore, au moins de deux manières différentes : l’une imposant à la perception une fixation sur un objet unique et constant (Exemple n°I) ; l’autre dominant de manière virtuelle la distribution symétrico-spatiale autour d’un son référentiel (Exemple n°II).

Exemple I

Nous voici en présence des neuf premières mesures d’Octandre I de VARESE ; les trois premières introduisent une monodie pour hautbois, autour de quatre notes solb-fa-mi-ré# dont une, le ré#, va s’imposer à la lecture et naturellement à la perception comme un son de référence. En effet, l’insistance sur cette note va s’imposer jusqu’à la mesure 5, lorsque le la (note axiale) viendra fermer la symétrie de la quarte augmentée. Quelques mesures plus loin, à la neuvième pour être plus précis, nous apercevons que la note sol, indiquée avec la dynamique quadruple forte, était absente du discours précédent. L’insistance première sur ré#, suivie de l’insistance sur ré#-la, nous avait épargné le sol, pour totaliser un ensemble de onze sons (source audio)

 

Parcours analytique métatonal de DENSITY 21.5

Écrite en 1936 à New York à la demande de Georges BARRERE , la version de DENSITY 21.5 qu’on va analyser correspond à celle que VARESE avait révisée lui-même en 1946. Notre démarche analytique consistera à détecter les analogies possibles entre la notion d’unité cristal avancée par VARESE et le concept de référentiel métatonal avec son noyau invariant. Partant de la conception varésienne de la forme musicale comme résultat d’un processus, nous avons tenté de dégager dans l’analyse de cette pièce, une dimension structurelle différente afin de percevoir sa singularité. En effet, la plupart des analyses de cette pièce accordent une structure organique en trois grandes périodes séparées par un court interlude et qui se succèdent de la manière suivante :

Nous avons élaboré cette analyse pour la classe de C. Ballif à l’Université Paris VIII (1989–1990). Quant à l’emploi du vocabulaire spécifique [voir]

Première partie : mesures. 1 – 23

Interlude : mes. 24 – 28

Deuxième partie : mes. 29 – 40

Troisième partie : mes. 41 – 61

Cependant, quoique traditionnellement considéré comme pertinent, ce découpage peut ne pas rendre compte de l’idée centrale de VARESE à propos de son unité cristal : ce substrat qui se développe et qui éclate en différents modules, avec une force incessante coordonnant la direction et la vitesse des sons et dont l’interaction constitue la forme de l’œuvre.
Le parcours analytique que nous proposons respecte les traits généraux du découpage traditionnel, mais il dégagera aussi les différentes sections que constituent le mouvement et les transformations du processus sonore :

PREMIÈRE PARTIE DE DENSITY 21.5
PREMIÈRE SECTION : mes.1- 3.
Invariant harmonique Sib → Fa → Do.
Exposition de l’unité cristal, présentation du ton indicatif (une
fois) et apparition du premier axe de transformation (a) do# ↔ sol
à la troisième mesure. Polarisation sur fa#.
DEUXIÈME SECTION : mes. 3 – 5.
Ton indicatif noyé. Encore polarisation sur fa#.
TROISIÈME SECTION : mes. 5 – 8.
Évolution de la tessiture. Cadence métatonale à la mesure 5 et
première apparition des invariants sib, do. Fin de la polarisation
sur fa#.
QUATRIÈME SECTION : mes. 9 – 12.
Transposition de l’unité cristal et polarisation sur do. Deuxième
axe de transformation (b) à la mesure 11 : ré ↔ sol#. Troisième
axe de transformation (C) à la mesure 12 :
Ré# ↔ La ↔ Ré#

 

CINQUIÈME SECTION : mes. 13 – 14
Parenthèse. Quatrième et dernier axe de transformation
SIXIÈME SECTION : mes. 15 – 17
Liquidation de l’invariant : sib → fa → do.

SEPTIÈME SECTION (mes. 18-21) / Changement de ton indicatif par échange de deux sons antipodes (polarisation sur SI)

Fin de la 1ère partie

(source audio)

La pratique de l’analyse musicale, tant d’un point de vue statique que d’un point de vue dynamique, nous révèle qu’il n’y a pas de position privilégiée à partir de l’un ou de l’autre de ces deux aspects. L’aspect statique d’une œuvre demeure, même lorsqu’on a fini de l’entendre; mais si une note dure plus longtemps qu’une autre, cet aspect statique dépendra du contexte musical, car chaque son considéré en lui-même peut être successif du discours ou son de référence. Et c’est au compositeur de créer ces points, ces réseaux qui vont
structurer le statique et le dynamique. Dans la pratique compositionnelle, la note musicale, ou encore un certain complexe sonore, ne sont envisagés que comme un passage. Ainsi par exemple, on s’en aperçoit mieux encore lorsqu’un musicien tente d’achever la courbe d’un morceau et prépare une cadence qui va freiner ou éteindre tout de bon le mouvement, et favoriser du même coup un terrain d’atterrissage. L’auditeur n’a plus qu’à attendre la fin… Il y a un «suspens »… Et là, dans ce qui fuit et va mourir, mirage d’un temps achevé, on va arriver au point de départ et tout le matériel utilisé n’aura été qu’un passage dans la durée [pp.152-153]

Solfeggietto n°1⇒