Mouvement et exercices métatonaux

ARTICULATION DU MOUVEMENT MÉTATONAL

A la fin de son livre Économie Musicale, C. Ballif nous énonce de manière définitive les sept procédés d’engendrement et de prolifération dans le mouvement métatonal sur le référentiel de onze notes et les échelles harmonies ; il s’agit là d’un instrument d’observation, de prévision et d’analyse qui fait transiter les sons dans un espace-temps donné en activant des procédés d’articulation dans un « espace/mouvement »: des sons en interaction.

Rappelons que la métatonalité n’est pas un système clos au moyen duquel on pourrait composer pour avoir un style ou une manière déterminée ; dans l’esprit métatonal on s’attache à :

a) La mise en œuvre d’une corrélation de la macrostructure hors-temps (activité pré compositionnelle).

b) L’observation des points d’appui et des points de mobilité (activité analytique).

Ces deux préliminaires acceptés, tout un ensemble de moyens va intervenir.

 J’ai écrit quelque part que toute musique était structurée ou se structurait. De la même façon que je peux dire que toute musique part d’un référentiel d’ordre affectif ou spéculatif et plus précisément de sons animés et vivants. Le référentiel est l’ensemble de départ saisi sur l’ensemble totalisant et dans lequel on décide de travailler. Suivant les conventions d’époque ou de cultures musicales, il est restrictif, singulier mais suffisant pour arriver à bien faire sans plus s’occuper du vaste ensemble qui, lui, totaliserait l’univers sonore. On connaît comme référentiels des échelles diverses, des modes, lesquels sont forcément restrictifs. Le référentiel peut être aussi un motif, un thème, une série. J’écarte volontiers le terme de série même s’il a révélé pour beaucoup et pour moi-même des qualités pratiques. Ce terme ne me satisfait pas. Il est trop restrictif et trop lié à une notion de successivité qui rappellerait, mais en contrefacteur, le «thème », lui-même rivé à la solide rhétorique de la Durchführung, laquelle n’est pas indispensable. Des œuvres exemplaires montrent que la série n’était saisie que comme un référentiel, de même les modes, les gammes et les arpèges d’un ton principal, aux époques des musiques modales et tonales [] Par le terme référentiel j’insiste sur son universalité qui prendra dans une œuvre précise sa singularité. De même j’avais insisté dès  1949, en créant un néologisme, sur le terme « métatonal » propre à cerner toute musique. Dans cet art du mouvement, une notion d’ordre ne peut vivre que parce qu’elle est capable de désordre[pp.97-98]

Face à l’infini résonnant, le compositeur cherche à établir une cohérence dans un parcours à la fois diachronique et synchronique et pour cela, le modèle des formats s’impose : ces territoires où naissent les idées musicales réunissant :

a) les éléments d’une paramétrisation globale

b) et un type d’exploitation du matériau de l’œuvre à venir, de la matière sonore envisagée : les formaires.

L’unité (ou les unités) élémentaire (s) d’un « format » détermine (nt) le formaire en question et, par-là, décide (nt) le mode « composition » dans lequel des unités seront plus efficaces que d’autres en vue d’un style à notre image. Les « formats » ou unités élémentaires et individuelles, propres aux quatre formaires, sont distincts à l’analyse. Ils peuvent être traités comme un espace à plusieurs dimensions ou encore comme plusieurs espaces à une dimension. Les quatre formaires, une fois déterminés par leurs formats, n’ont pas d’ordre préférentiel d’entrée. Celui que nous avons choisi pour les décrire est dicté par l’ordre littéraire qui oblige de dire une chose après l’autre. Il n’y a pas de hiérarchie entre eux ; du point de vue de l’information qu’ils portent, ils sont tous les quatre aussi valables à l’activation du corpus d’une œuvre jusqu’à sa consommation dernière[pp. 48-49]

Ainsi l’inventaire des formaires de BALLIF , choisis en étroite relation avec les formats pour la structuration du mouvement sonore, est articulé par :

a) Les formats du formaire de sons en interaction.

b) Les formats du formaire d’événements.

c) Les formats du formaire d’enveloppes.

d) Les formats du formaire des cadres.

Les formats du formaire (a), par exemple, constituent l’échantillonnage physique des sonorités du processus à venir ; il s’agit selon BALLIF d’un spectre qui signe l’œuvre [Ibid., p.49]

Formaire de sons en interaction [*]


L’intérêt que porte BALLIF pour les phénomènes périodiques aux aspects géométriques des formes vivantes est une signature indiscutable de sa manière de modéliser et d’agir. Le formaire ci-dessus par exemple contient déjà une certaine représentation en miniature d’une macrostructure «des sons en interaction» à venir ; en effet, la simple distribution de 3m+3m — par exemple — peut signifier, dans l’esprit ballifien, la disposition d’un cycle répétitif plus ou moins riche, où la «vocation historique» de la périodicité intervallique opérée —la tierce mineure — donnera l’occasion d’introduire des unités plus fines, autrement dit infra-chromatiques — bouleversant ainsi sa connotation traditionnelle.

Les trois autres formaires, dont la détermination s’effectue par formats sur les événements, les enveloppes et les cadres, sont de nature plus liés à la psychologie et au caractère de chacun des compositeurs. Effectivement ces formats, quoique signifiés de la façon la plus neutre, ne peuvent demeurer dans cet état et sont particulièrement sujets à l’artifice d’une paramétrisation plus individuelle encore. Ils signalent et corrigent nos «impulsions» propres et les accordent à notre « souffle » pour ce qui regarde les événements, à nos sens de la « capacité» et des «articulations» pour ce qui convient aux enveloppes, à la nécessité plus au moins avouée d’un « fondement» aux différentes acceptations ou différents refus de telle continuité de discours, ainsi qu’au calcul de « caps» définissant une issue convenable pour régler les cadres[Ibid., p.49]

Apparition du formaire d’événements


Détermination du formaire des événements


Apparition du formaire d’enveloppes


Format du formaire des cadres


Les sons se contentent d’être. Le musicien seul les décide bons ou mauvais, consonants ou dissonants : jugement de valeur pour assurer le bien fondé des esthétiques. Comment être bien sûr ? Souhaits entre symboles. Comment sortir de l’arbitraire ? Peut-on, en toute rigueur, quantifier l’énergie sonore, non plus empiriquement mais à l’aide de calcul du taux d’information ? Pour gouverner une pièce à venir — ou, là, venant — peut-ton faire confiance à la notion d’ordre, laquelle garantit l’accroissement d’information et à son contraire la notion de désordre, qui cause, plus elle augmente, la diminution d’information ? Cette question a été débattue lors d’un concours, relaté par Diderot, entre un coucou et un rossignol, et jugé par un âne-ordinateur voisin. Ce dernier préfère la structure ordonnée, suivie par le coucou, qui adopterait un point de vue raisonné, voire scientifique, allant du simple au complexe […] Diderot illustre deux cas extrêmes de néguentropie et d’entropie possible pour le chant des oiseaux, de plus l’âne n’avait hélas pas encore lu Bachelard, lequel sut, entre autres, nous apprendre à distinguer un beau théorème et un beau poème qui présentent, eux aussi, deux cas extrêmes [p.73]

Mais revenons à l’intention préliminaire dans cette étape de notre démarche : la relecture des sept exercices sur le Référentiel métatonal et les échelles harmonies. Dans ce sens, nous développerons nos réflexions en essayant de donner à la métatonalité son LIEU D’EXPANSION et par conséquent D’EXTENSION. Voici donc une relecture extensionnelle de quelques exercices ballifiens.


Exercices métatonaux : vers une logique de l’espace-mouvement en expansion

A. Premier Exercice : Référentiels orientés

a) CHANGEMENT DE TON SANS TRANSPOSITION PAR ÉCHANGE DE DEUX SONS ANTIPODES

Exemple FA# au lieu de DO

Changement de ton sans transposition

Il s’agit tout simplement du renversement du noyau invariant.


b) TRANSPOSITION AVEC CHANGEMENT DE TON (INVARIANT HARMONIQUE TRANSPOSÉ)

Transposition avec changement de ton


Transposition avec changement de ton b


La table d’addition précédente (modulo 12) illustre clairement le déploiement des transpositions du référentiel métatonal ─ représenté dans la colonne horizontale située tout en haut ; l’emploi du modulo en question se justifie par la nature même de l’exercice ballifien, qui nous impose la transposition itérative de l’invariant harmonique et l’activation de la note antipode.

c) TRANSPOSITION SANS CHANGEMENT DE TON

Antipode fa# : toujours absent malgré les transpositions

Invariant harmonique conservé / variance mélodique activée

Transposition sans changement de ton

La transposition du référentiel associée à l’addition dans le modulo 11 — tout en activant la mobilité mélodique — respecte la permanence du noyau de l’invariant harmonique. Le résultat de cette association, consiste en un déploiement équilibré des cycles opérés.


B. Deuxième exercice: Référentiels symétriques
ÉTABLISSEMENT , PAR RAPPORT A UN ORIENT (MÉTATON) ET SUR CE POINT D’ORIENTATION , DE QUATRE FORMES ISOMÉTRIQUES

( DIAGRAMME DE KLEIN ) :

Premier cas
Référentiel « mono-structurel » : son renversement ne fait pas apparaître un changement de ton indicatif.

Référentiel mono-structurel

Second cas
Référentiel «poly-structurel» : son renversement fait apparaître un changement de ton indicatif.

Référentiel poly-structurel


C. Troisième exercice : Référentiels dérivés
L’ ORDRE SUCCESSIF , DONNE PAR L’ORIENT CONSIDÉRÉ COMME ORIGINE, EST MIS EN CORRÉLATION AVEC L’ORDRE NUMÉRIQUE D’APPARITION.

référentiels dérivés/permutations


Initialement, les deux premiers ordres vont proliférer par application bijective. On obtiendra ainsi neuf cycles en dehors du référentiel qui seront sous-divisés en trois groupes ou corrélations. Le tout formera ce que C. BALLIF a dénommé un archétype.

Archétype


L’archétype étant défini, on appliquera à chacune des corrélations la même opération ; sauf erreur, chaque corrélation doit contenir 30 cycles dérivés. Ainsi un seul référentiel dérivé sera à l’origine de 90 cycles de 11 notes. Un nouvel archétype peut se créer si nous appliquons à une corrélation, l’un de ces cycles du parcours de prolifération, la même opération appliquée au référentiel. Nous obtiendrons alors 90 nouveaux cycles.

Corrélations


Pour prévoir la totalité organique de l’œuvre aussi bien que pour se rendre compte, il faut donc, au-delà de l’écriture traditionnelle, en penser une autre, plus générale, qui inclurait une table de corrélations à double entrée fixant les relations entre l’écriture et l’instrumentation [pp. 185-184]

Cela étant, revoyons encore un instant le concept d’archétype ballifien car sa signification ne s’arrête pas à la simple concaténation référentielle entraînée par un bien traditionnel procédé de permutations. N’oublions pas que la composante
essentielle de l’archétype métatonal est sa propriété corrélative − porteuse de ces configurations intervalliques que BALLIF définit comme les modules qui deviendront les formats de formaires de sons. Certes, la lecture horizontale fournit les différentes suites et révèle les diverses configurations qui constitueront chez le compositeur les engrenages de transformation ou de modulation d’un référentiel dont voici un exemple :

Engrenage de transformations


dérivation référentielle


D. Les cycles de réseaux ou l’extension métatonale

L’étude des référentiels dérivés de C. BALLIF nous permet à présent d’introduire un procédé d’extension qui pourrait être considéré comme une variante de ce troisième
exercice métatonal : les cycles de réseaux. Inspiré des référentiels dérivés, ce procédé se présente en deux étapes :
a) Prolifération du produit de permutation à partir de deux ensembles de l’archétype ballifien — le premier bâti à partir de l’ordre d’apparition de la séquence métatonale (ou tout simplement gamme) et le deuxième constitué par la configuration ou référentiel sélectionné pour cette opération.
b) Multiplication par les chiffres 5, 7 et 11, dans le modulo 12 et multiplication par les chiffres 5, 7, et 9 dans le modulo 11. Autrement dit, lors de l’obtention du total des permutations, on multipliera les deux premiers ensembles par chacun des chiffres indiqués précédemment.

Archétype du cycle de réseaux


Correspondance avec les notes


Multiplication de l’archétype par 5 en « modulo 12 et 11


Multiplication par 7 de l’archétype en “modulo 12 et 11”


Multiplication par 9 de l’archétype en “modulo 11”

Nous avons exclu la multiplication par 9 dans le modulo 12, pour des raisons qu’on connaît désormais — à savoir la réduction du total chromatique ou métatonal aux uniques composants de l’accord de septième diminuée (0, 3, 6 et 9)—, en
vertu de quoi on pourrait envisager une réintroduction du même procédé pour propulser le passage vers un tempérament distinct. Dans la pensée métatonale, tout résidu est économie et par conséquent exploitable. En effet, la réintroduction de la multiplication par 9 dans le modulo 12 nous permet d’envisager la division de la tierce mineure — mais aussi, la division de la sixte majeure. Nous obtenons ainsi :

a) une double division quaternaire de l’octave (en modulo 12) avec une échelle de huit sons d’une périodicité de 3⁄4 de tons:

Double division quaternaire de l’octave


Échelle non octaviante en tierces mineures


Cycle infra-chromatique alterné

Quel que soit le choix du modulo, les cycles de réseaux — comme extension des référentiels dérivés métatonaux — permettront de basculer au cours du mouvement  sonore d’un tempérament à l’autre (tout en ayant à l’esprit la notion de bi-modularité (voire de pluri-modularité).

Multiplication de l’archétype par 11 en modulo 12


Multiplication par 11 modulo 11


E. Quatrième exercice : Référentiels circulaires.
a) Nouvel ordre successif par permutation des termes, tout en conservant toujours le même nouvel ordre et en sauvegardant la même origine.

Avec 12 sons

Référentiels circulaires


La permutation précédente (cycle B 2ème portée) fait apparaître une brisure dans le module de configuration représentée par la quarte augmentée/seconde majeure — à cause de la substitution de l’intervalle de seconde mineure par l’intervalle de seconde majeure. En effet, la suite des couples a, e, c, b, f, d signale une coupure nette entre les couples c et b — avec un rapport de quarte juste—; elle instaure une segmentation binaire entre les trois premiers couples et les trois derniers. Dans la technique métatonale, l’apparition de sons résultant d’une brisure est considérée comme une restance — il faut donc savoir l’intégrer.C’est ainsi que nous sommes en mesure d’imaginer l’existence d’une symétrie virtuelle au milieu de ces deux groupes équilibrés qui donnent la possibilité d’un  glissement infra-chromatique obtenu à partir de la division égale de la quarte juste :

Symétries virtuelles de groupes équilibrés


Le glissement infra-chromatique du référentiel nous dévoile l’actualisation d’une symétrie sous-jacente et nous ouvre la possibilité d’un référentiel extensible vers un univers infinitésimal ; nous pouvons ainsi, imaginer un référentiel microtonal comme celui-ci :

Glissement infra-chromatique


Par ailleurs, ce procédé est une dérivation du 7ème exercice sur le référentiel concernant les référentiels additifs.                        

1) Référentiels réciproques (extension métatonale) : Cycle réciproque du module de configuration quarte augmentée /seconde mineure :

Référentiels réciproques


Observons que le module de configuration réciproque (2de mineure plus quarte augmentée) fait apparaître une gamme métatonale sur DO dont le son manquant correspond au FA#. Autrement dit, la stricte succession itérative et sans brisure du module de configuration polarise un ton orient sur la note DO et potentialise son correspondant symétrique FA#.

2) Cycle réciproque du module de configuration quarte augmentée /seconde majeure :

Référentiels réciproques b


Remarquons que le cycle réciproque de la configuration quarte augmentée/seconde mineure réduit l’ensemble à la sonorité de la gamme par tons (deuxième et troisième portées).
Cependant, si le procédé en question est volontaire, nous sommes alors face à un exemple, dérivé du 7ème exercice sur le référentiel, concernant les ensembles  soustractifs ; c’est donc l’occasion de se demander si la segmentation équidistante de la configuration étudiée supporte la brisure de la quarte juste, pour ainsi activer l’ensemble des notes manquantes :

Ensemble soustractif


Cela étant, tout nous amène à penser que l’intervalle de quarte juste joue un rôle important dans l’organisation métatonale ; mais aussi dans le «modulo 11», car il sert à structurer, distribuer ou tout simplement à neutraliser ou polariser l’intention des sons en interaction de n’importe quel référentiel.

b) 4 FORMES CYLINDRIQUES : = début-milieu = fin-milieu

= milieu-extrême = extrême-milieu

 

Référentiel avec fixation d’axe de symétrie


Référentiel avec mobilité d’axe de symétrie, variant mélodique activé


Référentiel avec des couples symétriques


Fin milieu


Milieu/extrême


Extrême/milieu


F. Cinquième exercice : Référentiels modulants

A PARTIR D ’ UN ORIENT CONSIDÉRÉ, SUBSTITUTION INTERVALLIQUE : DES SECONDES MAJEURES ET DE SECONDES MINEURES, DES TIERCES MAJEURES ET TIERCES MINEURES, DES SIXTES MAJEURES ET SIXTES MINEURES, DES SEPTIÈMES MAJEURES ET SEPTIÈMES MINEURES.

Référentiels modulants


Le référentiel obtenu (II) est un produit défectif — à 10 termes —, bien souvent employé par BALLIF avec l’intention de brouiller le noyau invariant et activer ainsi la variance mélodique. Notons par ailleurs l’apparition accidentelle du FA#.

G. Sixième exercice : Référentiels proportionnels

Agrandissement, rétrécissements intervalliques effectués proportionnellement.

Exemple : quarte redoublée, quarte divisée en 5/4 de tons par rapport à l‘intervalle lui-même.

Référentiels proportionnels


Voici probablement l’un des procédés les plus ingénieux de la charpente inventive de C. BALLIF. À partir d’une figuration de deux termes et en définissant son axe équidistant (division binaire), on peut faire proliférer des ensembles référentiels résiduels. Dans l’esprit métatonal, la disposition ou spatialisation d’un intervalle quelconque peut révéler des natures dynamiques assez distinctes mais très utiles à l’énergie d’un mouvement.

Voici quelques exemples :

Déploiement spatial d’un ensemble équilibré

L’opération ci-dessus nous montre le déploiement spatial d’un ensemble référentiel équilibré ayant sa source dans un foyer substrat bâti à partir de la division binaire — par la note axiale ré 1⁄4 (chiffre 5) — en cinq quarts de tons de la quarte ascendante
do-fa (chiffres 0-10)
Ensuite, nous avons le véritable commencement du déploiement de quartes ascendantes et descendantes (disposition verticale 19- 15) pour aboutir à la première apparition de la disposition verticale « absente» jusqu’à ce moment du parcours : la quarte augmentée, constituée par le son axial ré1⁄4 et son pôle symétrique sol 3⁄4 (chiffre 17) — note axiale de l’intervalle redoublé de do-fa. Il est essentiel de remarquer que la note axiale d’origine (chiffre 5), divisera tout au long du parcours la totalité des agrégations verticales ; les deux dernières notes des cycles ascendants et descendants (chiffres 22-12) clôtureront la prolifération lorsqu’elles établiront à distance les rapports symétriques métatonaux des tons indicatifs (chiffres 0-10) et des sons antipodes (chiffres 12-22).


Il nous reste encore un dernier paradoxe : la disposition verticale des deux notes de clôture constituée par le rapport de l’intervalle de la quarte ascendante (FA#-SI) s’étend sur trois octaves et une quarte — autrement dit un intervalle redoublé — on peut par conséquent envisager une modulation, tout en gardant le même axe infra-chromatique d’origine.

Lorsque BALLIF propose la division équidistante d’un intervalle quelconque, il la suppose dans sa réalité matérielle, c’est-à-dire dans son mouvement. Il sait par ailleurs qu’une fois un «système choisi», il reste une méthode à cerner ; car depuis bien longtemps il est conscient que la mise en valeur de la matière nous amène à reconsidérer les restrictions du passé, à chercher leur raison d’être et enfin à réviser les conceptions classiques du mouvement. Par conséquent, le trinôme du schéma matière, mouvement, musique, n’est plus en situation de contingence — il est implicite à une conception différente du matériau à envisager.

Ainsi, et à partir d’une disposition d’origine — constituée par la division binaire d’une quarte — on peut faire proliférer des cycles qui garderont entre eux des propriétés spécifiques à une configuration de départ ou foyer substrat — semblable à l’espace substrat préconisé par René THOM : noyau du domaine spatial où a lieu la morphologie envisagée.

L’exemple suivant nous montre aussi l’importance de la présence d’un invariant — capitale par ailleurs dans la prolifération équilibrée d’une diversité ou variance mélodique. Cependant, dans la pensée métatonale la division binaire, ternaire ou autre d’un intervalle, ne se limite pas seulement à la segmentation de la quarte ; l’importance de celle-ci dans l’esprit métatonal relève probablement d’une perception différente de l’information qu’on a héritée d’une certaine théorie de l’histoire musicale en Occident. Elle pourrait même énoncer l’existence d’un dynamisme sous-jacent, présent dans la pratique musicale au moins depuis le Moyen Age :

dynamisme sous-jacent

Par exemple, si nous appliquons le sixième exercice ballifien, à la disposition précédente — en apparence insignifiante —, nous nous apercevrons qu’elle est à l’origine d’une «figuration référentielle» contenant les informations pertinentes à la constitution de l’espace de démarrage ou noyau substrat :

Constitution d’un noyau substrat


Et aussi, d’un processus ultérieur de prolifération bien singulier :

Prolifération

En effet, le redoublement de la seconde mineure descendante (mi, mib) avec sa division binaire sera à l’origine du premier et véritable « foyer substrat» du cycle — constitué par la première disposition verticale sol/do de la section B et ce foyer substrat est obtenu grâce à la symétrie de la quarte — édifiée par la note axiale de la figuration référentielle.

Mais cela n’a rien d’étonnant, car la conscience harmonique dans l’approche métatonale peut repérer les points variants et invariants avérés par les polarisations (tons indicatifs) ou les absences (sons antipodes) des différents moments du parcours.
Quant à l’ambiguïté que pourrait créer chez certains spécialistes l’emploi indistinct d’intervalles mélodiques et harmoniques dans une même opération, il faut rappeler que dans la pensée ballifienne, la distinction «mélodie-harmonie» n’a pas lieu d’être, car on n’entend ni horizontalement ni verticalement : on n’entend que des types de dispositions.
Continuons donc avec l’explication ; par exemple, la note axiale (la1⁄4) symbolise un lieu d’intersection entre un avant et un après du déploiement de l’ensemble référentiel (entrelacement des sections A et B) ; mais elle préfigure aussi la présence invisible qui organise la naissance, la spatialisation et la prolifération d’un noyau invariant gouvernant la diversité. La note axiale nous signale enfin, non seulement un prétendu épuisement d’un type de parcours, mais aussi les transformations ou bifurcations possibles d’un perpétuel mouvement. Observons par exemple que dans la section C — juste au milieu du parcours—, les deux notes restantes du noyau substrat (mi-mib) — que l’on croyait d’ailleurs insignifiantes — prendront la relève (en disposition redoublée) pour activer une occupation plus large de la tessiture et notamment l’assurance d’un parcours cohérent à la section D.
La fin du parcours va se clôturer avec l’unisson infra-chromatique de la note axiale, mais auparavant le cycle des termes tempérés ôtera son déploiement (avant-dernière disposition notes fa#-réb) avec leurs respectifs pôles symétriques des composants du foyer substrat do-sol.
Ainsi, le cycle des notes des quartes clôturera son parcours, mais non sa distribution spatiale. Observons une dernière fois l’exemple de la figure précédente et rajoutons onze quarts de tons supplémentaires aux cycles ascendants et descendants. Pour le premier cycle nous retrouverons la note solb, tandis que pour le deuxième, nous aurons la note réb.
En réalité, elles étaient déjà présentes dans le parcours, mais cette
fois-ci elles constitueront pour la première fois une disposition verticale de quinte redoublée : hasard ou tautologie ? Ni l’un ni l’autre ; à ce stade, nous sommes en mesure de penser que la variance est contenue déjà dans l’invariance. Le noyau métatonal (invariant harmonique) ne peut gouverner le mouvement sonore que s’il dispose de la condition sine qua non de sa vocation : le déclenchement du mouvement.
Le regard métatonal sur les œuvres du passé, et notamment sur celles du SYSTÈME TONAL, nous a montré que la tonique avait  besoin d’un membre stable pour la confirmer (la dominante) et d’un membre mobile (la sous-dominante), capable d’activer et de contrôler la diversité du mouvement ; l‘exemple suivant pourrait illustrer plus clairement ces propos.

Comme nous pouvons l’observer, la division infra-chromatique du cycle de quintes aboutit à une disposition octaviante du pôle symétrique du terme qui l’a engendrée — donc un parcours clos —, tandis que la division infra-chromatique de la quarte propose une bifurcation et signale la présence d’un parcours ouvert.
Par ailleurs, nous supposons que le système tempéré était une réponse «légitime» à la difficulté régnante imposée par des systèmes différents — ne permettant pas la construction d’un langage identitaire typiquement occidental.

Mais rappelons une fois encore qu’une recherche de cette nature correspondrait plutôt à une démarche anthropologique ou à une archéologie du système tonal — à propos d’une reconstruction du savoir musical en Occident — et qui dégagerait les contraintes ayant conduit la théorie musicale occidentale à se fixer une logique circonscrite, voire autosuffisante.